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Maître de l’arène

Rencontre avec Thierry Le Portier, dresseur de fauves incontournable du cinéma et acteur du Grand Parc du Puy du Fou.

 

Dans quelques minutes, il fera son entrée dans l’arène. Sans trac, ni stress.  Il faut dire qu’il connaît bien le scénario, c’est déjà la 14e  saison qu’il le joue. Seuls ses fauves peuvent être un peu stressés. Et encore, « après quelques représentations, ils ont pris leurs marques » relativise Thierry Le Portier. Pour le public du Grand Parc du Puy du Fou, c’est le « dresseur ». Celui qui intervient pendant le spectacle du « Signe du Triomphe » avec ses lions, ses lionnes, son léopard et sa hyène. Celui qui ferait presque passer les félins pour des animaux dociles et affectueux.

 

Presque. Car dans l’enclos situé derrière le stadium gallo-romain, Thierry Le Portier conseille de ne pas s’approcher trop près des cages, « ils peuvent vite vous attraper la jambe sous la grille.  » Lui s’y risque sans crainte. Une caresse affectueuse, un petit mot à Sultan, le lion roi du spectacle. Devant lui, ses félins se comportent comme des chiens fidèles à leur maître. « Là c’est un jeune lion blanc que je prépare pour le spectacle. Il devrait  l’intégrer pendant l’été. » Chaque année, il entraîne ainsi ses troupes comme un metteur en scène dirige ses acteurs. « Les répétitions sont nombreuses. Il faut les habituer au bruit, au public, à l’arène. Je fais aussi en sorte que cela fonctionne bien entre eux. Quand un nouveau rentre dans le spectacle, cela crée des perturbations. Avant chaque représentation je regarde si l’une des bêtes n’est pas énervée contre une autre. Il y a longtemps que j’ai appris ça. » A 64 ans, Thierry approche des 50 ans de carrière. Près d’un demi-siècle passé à toute vitesse pour celui qui est tombé dans la cage aux lions à l’adolescence.

 

 

Cirque, cinéma, télévision et spectacle vivant

 Enfant, Thierry Le Portier était plus titi parisien que clown de cirque. Quand d’autres s’imaginaient pilote d’avion ou footballeur lui se voyait professeur de gym : « Je voulais avoir beaucoup de vacances et aucune copies à corriger » avoue t-il en rigolant. Amateur de vélo et de rugby, ce natif de Joinville-le-Pont, en banlieue parisienne, rêvait aussi de voyages et de grands espaces, bercé par les récits de Connaissances de Monde. « Je voulais faire pareil, je trouvais que les types qui animaient les conférences avaient la belle vie. » En attendant de découvrir le monde sac au dos, ce fils d’ingénieur a traîné ses guêtres au Zoo de Marseille, ville où sa famille s’était installée. « J’allais voir les bêtes et plus souvent les fauves. Un jour, j’entends dans les hauts-parleurs qu’une séance de dressage est prévue à 15 h. J’y suis allé pour tuer le temps et j’ai immédiatement su que c’était ce que je voulais faire. J’ai tanné le dresseur pour qu’il me laisse venir voir les fauves, nettoyer les cages, etc. Il a fini par céder et en l’espace d’une semaine, j’ai arrêté le rugby et le vélo pour me consacrer aux bêtes. J’avais 16 ans et demi. » Depuis, son quotidien est organisé autour de ses bêtes, ses « enfants » comme il les surnomme affectueusement. « C’est toute ma vie. Je n’ai pas pris de vacances pendant des années pour m’occuper d’eux. Je n’ai eu que 20 jours d’arrêt en 14 ans au début de ma carrière. Uniquement parce que le cirque italien dans lequel je travaillais avait décidé de faire une pause pendant la Coupe du Monde de football. » Lui qui gamin, voulait passer plus de temps en vacances qu’au travail, a revu ses projets et il ne s’en plaint pas. Mieux, il en redemande.

 

Pendant des années, il parcourt ainsi le monde sous les plus grands chapiteaux. Le cirque contribue à sa renommée et lui ouvre les portes du cinéma. En 1974, Pier Paolo Pasolini fait appel à ses services sur le film « Les mille et une nuits ». C’est le début d’une longue série de collaborations avec le 7e art. « L’Ours » en 1988, « Roselyne et les Lions » inspiré de sa propre vie et de son histoire avec Roselyne, sa femme, en 1989. Mais aussi «Astérix et Obélix contre César», « Gladiator », « Le Pacte des loups », « Astérix et Obélix, mission Cléopâtre », « Deux Frères », « L’Odysée de Pi »…

 

Les plus grands réalisateurs se l’arrachent et les propositions affluent du monde entier. « Je viens de recevoir une demande pour un gros film qui doit se tourner en Corée du Sud. Je vais regarder ça d’un peu plus près mais c’est assez rare que je refuse. J’ai 71 enfants à nourrir donc j’accepte ce qui se présente », sourit-il, « sauf si ça n’a vraiment pas de sens. » Pendant l’été en revanche, sa priorité reste le Puy du Fou. Avec trois représentations par jour en pleine saison, pas question de quitter sa Vendée d’adoption. Il délègue alors à Monique, son assistante, plus connue sous le nom de « Félindra » dans Fort Boyard. Télévision, publicité, cinéma, derrière chaque image mettant en scène des félins, il y a du Thierry Le Portier.

 

Les lions de Thierry Le Portier

Les lions de Thierry Le Portier participent aussi bien à des spectacles, comme ici au Puy du Fou, qu’à des tournages de films.

« Quand les réalisateurs veulent vraiment faire appel à moi, ils s’arrangent pour caler les tournages en fonction de mon emploi du temps. D’autant que nous sommes peu nombreux à faire ce métier et nous le serons de moins en moins… » Le monde du dressage est lui aussi touché par la crise des vocations.

 

Ou plutôt par la crise des talents car les candidats ne manquentpas. « J’ai vu des centaines de jeunes qui voulaient faire ce métier mais aucun ne tenait la route. Ils rêvent, ils pensent que c’est facile parce qu’ils ont vu ça à la télé, dans des émissions où tout est fabriqué. Beaucoup me demandent s’ils peuvent avoir leur week-end, mais dans notre boulot on travaille le samedi, le dimanche, on ne compte pas ses heures. » Le sujet est sensible et rappelle à Thierry de mauvaises expériences. « Il y a quelques années, j’avais monté un cirque avec un ami pour une tournée dans les Caraïbes.

 

Pendant sept ans, j’y ai investi tout l’argent que je gagnais. Mais au moment de recruter la troupe, les premières questions que l’on nous a posé portaient sur les congés, les Assedics… Sur les 20 candidats, nous en avons retenu trois et un seul a perduré dans le métier. Les autres n’étaient pas fait pour ça. J’ai le pif pour sentir ces choses là, c’est comme avec les bêtes.» Dans son métier, l’intuition est un sens essentiel. « D’ailleurs on traite ça comme un métier, mais ce n’en n’est pas un » corrige t-il, « c’est un mode de vie. »

 

 

Globe-dompteur

Animé par sa passion qu’il considère comme une « vocation », Thierry Le Portier partage volontiers ses souvenirs de spectacles ou de tournages. Ils sont nombreux car l’homme n’en a que des bons. « Surtout sur les films où il y avait énormément de travail comme Gladiator ou l’Odysée de Pi. Paradoxalement, un tournage est bien plus stressant et épuisant qu’un spectacle car chaque plan est une improvisation. » Sur les plateaux, le dompteur est considéré comme un roi. Non pas qu’il soit hautain ou orgueilleux , bien au contraire, mais parce que son talent impose le respect. « Je me souviens d’un tournage en Afrique où les 300 figurants étaient ingérables.

 

Mais quand est arrivée la scène avec le fauve, je leur ai dit de ne plus bouger, pas même un orteil. Pas un seul n’a bronché et après le tournage, ils m’appelaient le magicien. Idem pour Monique sur le tournage de Gladiator au Maroc. Elle s’est imposée sans difficulté alors que c’est une femme, de couleur, dans un pays musulman. Il n’y a que les fauves qui permettent ça. En Afrique ou en Asie, je suis soit tabou, soit sorcier. » Célèbre au quatre coins du monde, le dresseur reconnaît que sa carrière lui a permis d’assouvir l’un de ses rêves d’enfant, celui de voyager dans le monde entier. « J’ai fait le compte,  je suis à 49 pays ! Toujours pour le travail. Je n’ai jamais réussi à voyager comme touriste.

 

Quand je pars en voyage, c’est souvent avec mes bêtes. » Parfois  aussi avec Kareen, sa fille. Elle, s’est prise de passion pour les loups et l’assiste de temps à autre sur les tournages et les spectacles. Pendant près de 700 représentations, c’est elle qui jouait le rôle de « Soline » dans « Le Signe du Triomphe » au Puy du Fou. C’est elle d’ailleurs qui la première a été séduite par le projet proposé par Philippe de Villiers en 1999. « Il m’a demandé si c’était faisable et si ça m’intéressait de faire travailler mes fauves dans une arène, raconte Thierry.

 

J’avais écrit un spectacle pour des arènes quelques années plus tôt mais je ne l’avais jamais vendu donc l’idée m’a rapidement plu. » A tel point qu’il a depuis quitté la région parisienne pour s’installer à Vendrennes à quelques kilomètres du Puy du Fou. C’est là qu’il dresse ses lions, tigres, léopards, guépards, jaguars et loups, dès leur plus jeune âge. « J’ai aussi quelques retraités que je garde jusqu’à ce qu’ils meurent de leur belle mort. » La retraite pour lui il n’en n’est pas question : « Le travail c’est le moteur de ma vie. Si j’avais de gros problèmes physiques, je ne pourrais effectivement plus faire ce métier mais actuellement je suis en pleine forme. Et puis quand vous aimez ce que vous faites, la retraite, c’est une punition. » Pour Thierry Le Portier l’heure n’est pas encore de quitter la piste. Il est d’ailleurs temps pour lui d’entrer dans l’arène.

 

Adeline Sennecheau

 

 

 

Vite tracé

  • 1950 : naissance à Joinville-le-Pont.
  • A 16 ans, découvre le dressage au Zoo de Marseille.
  • 1968 : fait ses débuts comme dresseur dans un cirque en Italie.
  • 1974 : premier film «Les mille et une nuits» de Pier Paolo Pasolini.
  • 1999 : «Astérix et Obélix contre César » de Claude Zidi.
  • 2000 : «Gladiator» de Ridley Scott.
  • 2001 : rejoint le Puy du Fou et intègre le spectacle du stadium gallo-romain.
  • 2002 : «Astérix et Obélix, mission Cléopâtre» d’Alain Chabat.
  • 2004 : «Deux frères» de Jean-Jacques Annaud.
  • 2012 : «L’Odyssée de Pi» d’Ang Lee.