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Le foin justifie les moyens

 

Huit cents tonnes de foin! C’est l’impressionnante récolte des frères Leclerc à St Martin du Bois.Un gaec laitier aux pratiques originales qui a construit son revenu sur la culture des prairies, sublimée grâce au fanage en grange.

 

En ce moment, on coupe et récolte tous les jours. » Ce printemps sans nuage ni aucune pluie, Emile et Bernard négocient leur début de saison d’herbe sur les chapeaux de roue. L’eau, attendue, finira-t-elle enfin par arriver? «On ne sait pas ce qu’on aura en mai ou en juin.» Les betteraves, semées il y a plusieurs semaines, n’ont pas encore levé. L’année s’annonce incertaine. Alors tout ce mois d’avril, ils engrangent à tour de bras.

 

Fauché le matin, récolté le soir

 

 

A la Poulinière, nom prédestiné de cette ferme familiale devenue gaec, le foin est une affaire très sérieuse. Il mobilise éleveurs et salariés six mois de l’année. «Toutes les périodes de beau temps, on en a par terre. » L’herbe fanée est la grande spécialité des frères Leclerc, deux éleveurs laitiers du nord du Maine et Loire dont les terres profondes jouxtent la Mayenne. «Le fourrage est très riche en ce moment avec peu de cellulose» montre Emile en saisissant une grosse poignée bourrée de feuilles vertes et presque déjà sèches. Depuis qu’ils se sont lancés dans le fanage en grange, c’était en 2008, le foin récolté à St Martin du Bois est aussi couru dans le petit monde hippique régional que celui de St Martin de Crau. «Le nôtre est plus riche, trop même parfois.» Et aussi, il est moins cher. Alors ils en produisent beaucoup et en vendent énormément. «Nous faisons huit cents tonnes par an dont cinq cents sont vendues, surtout à des entraîneurs de chevaux de course.» Avec de gros clients: « Certains nous prennent vingt-cinq tonnes chaque mois.» Livraison assurée par eux mêmes. Dans cette ferme laitière aux vaches de race normande, l’assolement a lui aussi comme un goût de Normandie. Sur cent cinquante quatre hectares, vingt-trois sont plantés de pommiers à cidre. Quant aux prairies, toutes de composition complexe, elles occupent pas moins de quatre-vingt-treize hectares.

L’herbe tient donc une place centrale : quand les éleveurs vaquent à la fauche, les vaches s’escriment au pâturage. Cent trente hectares sont groupés autour du site principal de la ferme, ce qui facilite l’usage intense des prairies. Primo le pâturage version dynamique, avec des parcelles d’un hectare où transitent l’ensemble des quatre vingt laitières : «On les change de place tous les jours.» Secundo la fauche intensive sur cinquante hectares de prairies dont la flore est adaptée à cet usage: «Peu de ray-grass anglais, et uniquement du diploïde. » Des fétuques des prés et élevée, de la fléole, trois sortes de trèfles blancs, des trèfles violet et hybride. «On récolte les quatre premières années au moins, puis on remet en pâture pour régénérer en faisant taller les graminées et aussi remettre de la matière organique.» Fauche et fanage au sol sont organisés en vue d’une qualité optimale. «Nous récoltons le fourrage lorsqu’il atteint 65% de matière sèche car c’est le stade, classique pour l’enrubannage, où l’on préserve le mieux sa valeur. » Poursuivre le fanage à l’extérieur serait nuisible selon Emile : « Les derniers jours on perd de la qualité par le soleil et la Lune.» Le foin quotidien imprime son rythme à la journée de travail. La fauche est effectuée le matin, la récolte le soir. Entre temps, «nous faisons deux ou trois fanages et un andainage au moins. » Le soir en effet, le fourrage est remis en andain pour éviter qu’il ne s’humidifie. Quarante-huit à soixante-douze heures au sol suffisent pour atteindre le stade recherché. «Parfois même vingt-quatre. »

 

 

Cueillir la crème de l’herbe

 

Deux saisons bien distinctes se succèdent. La première court en général jusqu’à la fin mai. Les éleveurs engrangent tout ce qu’ils peuvent sur les cinquante hectares. Ils récoltent une herbe à tous les stades et donc de qualité variable. La deuxième coupe inaugure ensuite un rythme de fauche calé toutes les cinq à six semaines jusqu’à la mi-octobre. « On récolte même si ce n’est pas beaucoup.
C’est le stade, la qualité qui comptent. » L’été, le regain ne pèse souvent qu’une tonne à l’hectare, voire une demi-tonne. Il est alors très riche en matières azotées. «Cela réactive aussi la plante de la couper. On fauche à huit centimètres de hauteur pour ne pas agresser le plateau de tallage. »

L’auto chargeuse permet de cueillir cette crème d’herbe en toute saison. La machine charge quatre tonnes de matière sèche à la fois. Au printemps, cela représente un hectare à un et demi. «Avec notre équipement, nous fauchons et récoltons entre dix et quinze hectares par jour. » La machine est réglée pour une longueur de coupe de vingt centimètres, favorable à une bonne régularité de chargement dans la grange ventilée qui parachève le fanage. Celle-ci est disposée comme un agrandissement de la stabulation qui a doublé de surface et a été rehaussée à défaut de pouvoir enterrer en partie les cellules de fanage. Les éleveurs ont aménagé un double toit. L’air plus sec et plus chaud – «on gagne dix degrés par rapport à l’extérieur» -est extrait par trois ventilateurs pour être pulsé à travers le fourrage. La grange est divisée en cinq cases de 178 mètres carrés chacune. Les ventilos tournent en continu durant les quarante-huit heures suivant la récolte. «Nous avons suivi des formations avec le Segrafo(1). »

Il ne suffit pas d’engranger l’herbe et de la ventiler : « Il y a des façons de faire, de déposer le foin en bateau car il sèche plus vite sur les côtés.» Des manières aussi de le reprendre avec la griffe pour le bouger ou le distribuer aux animaux. Des tuyaux d’eau disposés en fond de case servent à surveiller la pression pour intervenir si besoin. Un excès est signe de zone tassée, où l’air circule mal.

Le fanage en grange a changé la donne sur la ferme. «Comme on s’est retrouvé avec beaucoup de foin, on a cherché des débouchés. C’est là qu’on a découvert qu’il y avait une très grosse demande autour de nous pour les chevaux de course. » Sur le plan économique, le principe était aussi de saturer cet équipement onéreux. A la tête d’un troupeau de vaches allaitantes, les éleveurs décident alors d’arrêter cette production afin de valoriser leurs prairies autrement. Ils en viennent aussi à associer des agriculteurs voisins : «Nous récoltons chez eux trente-cinq hectares de prairies à raison de trois coupes par an. Ils nous font des mélanges prairiaux adaptés. » La capacité est seulement de six cents tonnes de foin par an. Le fait de vendre toute l’année et de reconditionner le fourrage en balles permet de faner deux cents tonnes de plus. «Là on est au plafond, y compris pour notre capacité de travail.» Au départ, Emile et Bernard avait une troisième associée pour la partie arboriculture, entrée dans le gaec en 2003. Celle-ci s’est retirée et aujourd’hui l’exploitation emploie deux salariés. L’un travaille sur l’élevage. L’autre a des talents de mécano: « Il fait toutes les réparations et conduit l’auto chargeuse. » Un rôle important dans une ferme où le matériel dort peu sous le hangar.

 

Foin, betterave et épeautre

 

Autre conséquence : le quasi arrêt du maïs. L’ensilage n’est ici plus qu’un souvenir. Les neuf hectares restants de l’assolement sont vendus pour l’essentiel en grains. Selon Emile, le meilleur complément du bon foin, ce sont les betteraves. Les deux frères en cultivent depuis bien longtemps. «Quelles que soient les terres où on la met, elle donne toujours plus de matière sèche que le maïs.» Cela grâce à la capacité de cette culture de se rattraper en automne après un été sec. La récolte en octobre et novembre est effectuée en cuma. La surface de betteraves atteint maintenant presque quatorze hectares. «On en donne de août à fin avril aux laitières, entières. Au début on les arrache à la main.» Les éleveurs en vendent aussi une partie. L’hiver, les vaches sont nourries avec dix à douze kilos de foins additionnés de cinq kilos de matière sèche de betteraves: «On monte haut car on donne beaucoup de cellulose avec le foin.» Pour ce dernier, ils composent avec deux tiers de première coupe et un tiers de regain plus riche en azote qui, dans les cases, se trouve mélangé avec la fauche de huit hectares de luzernières. Le grain de maïs est depuis peu remplacé par la distribution de deux kilos d’épeautre. Moins acidogène que le maïs selon les éleveurs, il est aplati avec son enveloppe. «On en met aux vaches aussi au printemps, car l’herbe pâturée est très riche en azote.» Le choix de cultiver sur douze hectares cette céréale peu sélectionnée surprend toutefois.

Dans les bonnes terres de limons argileux profonds qui entourent la Poulinière, elle est loin d’atteindre les quatre-vingt-dix à cent quintaux du blé en année favorable. Ses protéines seraient plus assimilables estime Emile. Un avantage plus flagrant est de réduire les achats de paille : «Avec l’épeautre, on récolte sept à huit tonnes de très belle paille à l’hectare. » En définitive, le bon potentiel céréalier des terres explique aussi les rendements élevés des prairies fauchées, évalué à douze tonnes de matière sèche par hectare. Or c’est bien du côté de l’herbe que la balance a penché. Cela a permis de réduire les achats de matières premières protéinées à la portion congrue: «On achète vingt tonnes de tourteaux par an; ils ne servent qu’à complémenter les plus grosses laitières.» Avec leurs normandes Emile et Bernard se satisfont de 7000 litres de lait par vache. Depuis qu’elles sont au foin, leurs taux ont évolué à l’inverse de ce que l’on imaginait : le TB a diminué à 42,6 et le TP augmenté à 36,2. «Le contraire d’une ration foin classique car c’est du très bon foin. » Les éleveurs n’excluent pas demain de se passer du soja. Cette année, ils ont testé les pois toastés à façon. Selon eux, une très bonne source de protéines assimilables à moindre coût, «même si l’on doit acheter le pois comme cette année. »

Econome, résilient et rentable, tel se veut le système. Quelques chiffres tirés de la comptabilité. Les charges alimentaires sont à quatre-vingt-quatorze euros pour mille litres de lait, dont dix-neuf euros pour les aliments achetés, quarante-six pour la production des betteraves et de l’épeautre et vingt-neuf pour les fourrages. Le cumul des frais d’élevage, vétérinaires et charges directes de récolte est de cinquante-quatre euros, soit un total de charges opérationnelles de cent cinquante deux euros pour mille litres. Les intrants chimiques sont au plus bas, les prairies ne recevant ni azoteni traitements. «On y met vingt tonnes de fumier par hectare tous les deux ans.» Qu’en est-il du résultat économique? L’investissement en 2008 fut conséquent : trois cents mille euros pour l’installation, l’autochargeuse et tout le matériel de récolte. « Pour le rentabiliser il fallait sortir vingt-cinq mille euros de plus-value par an. C’est, pour une bonne partie, l’économie en soja qu’on a faite.

Avant il nous fallait 75 à 80 tonnes par an. On a réduit de cinquante.»Certes les éleveurs ont perdu le produit des cinquante allaitantes.Mais il était loin de valoir celui des ventes de foin: «On fait cent mille euros de chiffre d’affaires par an. » Sur le dernier exercice (2015/2016) l’excédent brut d’exploitation atteint cent soixante mille euros, soit un tiers du produit brut total du gaec. Sachant que cet EBE intègre la déduction de trente mille euros de crédit bail sur les matériels et pas moins de soixante-dix mille euros de charges salariales. «C’est notre choix aussi de bien rémunérer nos salariés. » Sans ce virage, «on aurait très mal passé la première crise du lait en 2008, souligne Emile car on avait la mise aux normes et la salle de traite en même temps». Pour faire face, il a fallu se débrouiller avec seulement deux cent mille euros de prêt pour le fanage : «On a fait une grande partie de la construction nous-mêmes et en entraide avec une autre exploitation qui s’équipait elle aussi. » La vente de foin est quasi contractuelle avec un prix «de rentabilité» fixé d’avance et stable d’une année sur l’autre. Elle donne une sécurité de revenu et des apports de trésorerie réguliers.

« Nous refusons des clients ; il vaut mieux connaître le milieu hippique pour être sûr d’être payé. » En 1996, Emile et Bernard avaient investi dans une activité de séchage de semences pour le compte de leur coopérative. Ils poursuivent cette prestation sur des graminées en été. «On est aussi homologué pour sécher les céréales bio d’éleveurs qui les réutilisent pour nourrir leurs animaux. » A cela s’ajoutent les vergers, dont la récolte mécanisée en automne est faite en trois passages. Ce système complexe s’appuie ainsi sur plusieurs branches et réseaux pour rémunérer quatre emplois avec moins de cinq cent mille litres de lait. Il présente aussi des tampons climatiques : «Mi-mai, les deux tiers des fourrages sont rentrés. Avec la récolte d’herbe de printemps, on est sûr de pouvoir alimenter nos bêtes.» La vente de foin peut servir de variable d’ajustement en cas de sécheresse. L’automne, les betteraves peuvent encore se rattraper et «on peut refaire une coupe d’herbe si l’été a été sec». Comme dit Emile, « il est rare qu’on ait toute une année mauvaise». Un bémol toutefois. Le montant à investir pour le fanage en grange a beaucoup augmenté en dix ans. Y compris les matériels : «L’autochargeuse, on l’avait achetée trente-six mille euros neuve. Aujourd’hui, elle en vaudrait soixante. »

■ Dominique Martin

(1) Association de promotion et de développement du séchage en grange basée à Rennes qui regroupe environ deux cents éleveurs laitiers.

 

L'exploitation

Emile et Bernard Leclerc + deux salariés

Productions animales

  • • 479 000 litres de lait

Surfaces

  • 154 ha. dont :
    • 93 ha de prairies multiespèces pâturées et fauchées
    • 23 ha de pommes à jus
    • 12 ha d’épeautre
    • 13,7 ha de betteraves fourragères
    • 9 ha de maïs
    • 3,5 ha de mélange pois/orge

Dates clés

  • 1991: installation d’Emile en gaec avec son père
  • 1994 : Bernard prend la suite de son père
  • 2003 : installation d’un troisième associé
  • 2008 : construction du séchage en grange
  • 2013 : départ du troisième associé et embauche de deux salariés