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Pâturage gagnant

 

Ce n’est pas tant ses vaches qu’il trait que ses prairies.Tirer le lait des pâtures est sa priorité car il est le plus économe à produire.A Chazé-Henry, Nico Bouma pratique un pâturage tournant très dynamique, clé de voûte d’un système qu’il améliore sans cesse.

 

« J’arrive juste à la fin du premier tour! » Ce vingt-quatre mars chez Nico Bouma, les cinquante-cinq laitières ont déjà visité leurs dix-huit hectares de vertes pâtures. Elles sont dehors depuis le dix février. Trois semaines après la grande sortie, elles étaient revenues à l’abri quelques jours car trop de pluie. Pour autant elles n’ont point été privées d’herbe: « Elles avaient droit à trois heures de pâturage chaque matin après la traite, une fois fini le fond de maïs de la veille. Jusqu’à midi, c’est le moment où elles ont très faim.» A Chazé-Henry, sur les terres herbagères du jeune éleveur, la pluie du matin n’arrête vraiment pas le pèlerin : « Les terrains sont très portants ; tant que les vaches ne défoncent pas plus de trois ou quatre centimètres je les mets.» Concernant la mise à l’herbe, Nico a deux principes. Un: «Comme cela porte bien, je suis opportuniste; elles y vont dès que c’est possible. » Deux: «Je fais pâturer au plus ras (3,5cm) pour favoriser le tallage des graminées et donner de la lumière au trèfle ; les vaches restent deux jours sur la parcelle, puis je mets un lot génisses pour finir ce qui reste.»

 

Depuis une quinzaine, le vrai printemps est enfin là. Avec lui, c’est pâture plein tube jour et nuit. L’herbe en plat principal: «Je ne donne plus de correcteur azoté depuis le 15mars. Les vaches sont à vingt-cinq litres par jour.» Durant cette fin de déprimage des pâtures, les vaches ont encore droit à une belle assiette de garniture: «Elles ont six kilos de maïs par jour avec un kilo et demi de foin de luzerne pour la fibrosité.» Début avril, Nico va diviser par deux les portions de maïs: «Je n’arrête jamais pour maintenir de la fibre, ralentir le transit.»

 

Au deuxième tour des paddocks, les choses sérieuses vont commencer: brouter le meilleur de l’herbe, tirer le maximum de lait dans les pis, cela sans une once de concentré. Le dernier printemps fut béni des dieux, au moins côté herbe. Les bêtes s’étaient gavées de verdure jusqu’au quatre août. L’été était alors déjà bien avancé. «D’habitude, le pâturage couvre jusqu’à la mi-juillet.» Ce matin, les laitières sont au fil. Nico l’a tendu au beau milieu d’une prairie afin de les cantonner sur une partie. «Je vais les avancer petit à petit ; le reste sera fauché et ensilé. » Il n’est pas dans son habitude de procéder ainsi. Tout autour, les paddocks sont dotés de clôtures fixes qui restent en place le temps que durent les pâtures, c’est à dire six ou sept ans. Il s’agit de toutes petites cellules, une cinquantaine d’ares en moyenne. « J’y mets le troupeau en entier pendant vingt-quatre heures, puis je le change de parcelle. » Accroupis, Nico sort une réglette cartonnée de sa cotte et la plante dans le couvert herbager. Sa main appuyée sur le feuillage, il estime la hauteur. Sur la règle, le chiffre en centimètres est traduit en quantité à l’hectare. C’est devenu un geste machinal quand il visite ses pâtures, plusieurs fois par jour.

 

Un paddock par vingt-quatre heures

 

«Il en manque encore un peu.» Avec l’herbe il faut être opportuniste et patient à la fois. Nico attend les trois mille kilos de matière sèche à l’hectare avant de lancer les vaches. Il les ressort dès qu’elles elles en ont brouté la moitié, c’est-à-dire le meilleur, beaucoup de feuilles et peu de tiges. «Les mettre avant, ce serait pénaliser la prairie. Et si on leur en met davantage, cela entraîne du gaspillage et une diminution de la valeur alimentaire.» Cette quantité d’herbe à manger détermine la taille moyenne des paddocks: «Pour assurer quinze à seize kilos de matière sèche d’herbe par vache, il me faut un are par jour.» Donc pour cinquante-cinq laitières, cinquante-cinq ares. Chaque petite cellule herbagère est broutée en vingt-quatre heures. «Le matin, je change le troupeau de parcelle.» D’avril à juin, le rythme des passages est donc très rapide.

 

L’ordre de succession demande beaucoup d’observations et de l’anticipation: «Il faut prévoir avec ce qu’on a déjà sur pied et tout ce qui va venir ensuite.» Cette façon de traire les pâtures augmente considérablement leur productivité par rapport au pâturage tournant classique estime Nico. L’éleveur affiche une volonté ferme de progresser. Depuis un an, il se fait accompagner par un cabinet de pâturage et effectue des formations: «Je réapprends des choses. Mon but est de pousser le système le plus loin possible.»

 

Cela le conduit à revoir certains détails comme de positionner l’abreuvoir – un pour chaque paddock – de la façon la plus centrale afin de limiter les déplacements des vaches et d’arriver à une répartition homogène des bouses. Du coup cela fait beaucoup d’abreuvoirs! En réalité, un seul suffit pour deux paddocks contigus desservis par la même ligne d’eau. Avec vingt-sept parcelles destinées aux laitières et treize pour les génisses, Nico a quand même investi dans vingt bassines àcent euros pièce. «En plus des clôtures, j’ai aussi posé trois kilomètres de tuyaux à 0,60 euro le mètre.» Côté laitières, il semble très satisfait de son atelier à pâturer. Pour les jeunes génisses de six à quinze mois, il veut mieux faire: «J’envisage de passer au technograzing.» Son idée: disposer trois lignes d’eau dans une grande parcelle le long desquelles il déplacera des abreuvoirs. Les petites génisses tournerontcommesur un circuit autour de ces lignes d’eau en pâturant l’une après l’autre de petites cellules délimitées par un fil avant et un fil arrière. «Ce système peut permettre une croissance supérieure par rapport à l’élevage en bâtiment.»

 

Produire au moindre coût alimentaire

 

On l’aura compris, Nico Bouma ne cherche pas le maximum de lait par vache mais le plus de lait par l’herbe. Sa production est de 7500kg par laitière avec des taux butyreux de quarante et protéique de trente-trois en moyenne sur l’année. «Je ne cherche pas les taux les plus élevés. J’ai essayé beaucoup de choses. Certaines années, j’ai donné beaucoup d’aliment complémentaire.» L’éleveur sait parfaitement qu’il pourrait faire plus de lait encore au printemps : « Il faudrait monter à un tiers de maïs dans la ration pour deux tiers seulement au pâturage et avec de la complémentation.»Ce n’est pas son optique. Son engagement ferme dans l’herbe est de longue date et diversifié. Ses prairies temporaires sont toutes multi espèces, riches d’un large cocktail : divers ray-grass (anglais diploïde et tétraploïde hybride) la fétuque élevée et des prés (plus fibreuse et apte à boucher les trous) et de la fléole pour les graminées ; des trèfles blanc, violet, hybride, de Perse (pour assurer la première année) côté légumineuses. «Depuis un an, j’ajoute aussi un de peu chicorée et de plantain riches en tanins ». Nico dispose aussi de dix hectares de prairies associées à base de trèfle violet et ray grass hybride. Pour la fauche ou l’affouragement en vert l’été si l’herbe manque, mais pas seulement: «Je fais aussi du pâturage d’été sur le trèfle violet qui pousse bien à cette saison. Je n’ai jamais eu de météorisation comme je garde toujours un fond de maïs pour tamponner.» Il exploite aussi six hectares de luzerne associée à du trèfle violet: «Je la récolte surtout en ensilage, en enrubannage et un peu en foin.»

 

Il aura fallu un certain temps pour en arriver à ce raffinement. D’abord, trouver la ferme adaptée. Cela s’est fait par hasard, il y a dix ans, très vite, comme un rebondissement de plus dans la vie d’un éleveur qui a vu du pays. Nico n’est pas originaire de la région. Il est né en Allemagne il y a trente-cinq ans. Il en a seize quand il arrive en France. Ses parents,Hollandais, s’étaient expatriés outre Rhin, quatre ans avant sa naissance: « Ils voulaient produire du lait mais il n’y avait pas de terres aux Pays-Bas.» Ils s’installent éleveurs laitiers près de Brème, où ils demeurent vingt ans. Avant de migrer en France, à une dizaine de kilomètres de Chazé-Henry. « Quand je suis arrivé ici, je ne connaissais pas un mot de français. Je l’ai appris en troisième au collège.» Nico loupe son brevet mais décroche un BEP puis le bac pro et enfin un BTS au lycée agricole de Laval. «Après j’ai travaillé dans un gros gaec laitier comme salarié. Je cherchais un peu pour m’installer. Et puis je suis tombé sur la ferme ici.» Le prédécesseur vient d’être victime d’un accident grave. L’exploitation, laitière, est à reprendre en urgence. Les terres sont assez groupées autour de la stabulation. Celle-ci est assez sommaire mais fonctionnelle avec ses logettes et une salle de traite classique, le tout est récent (entre 1999 et 2000). Tout le nécessaire pour travailler selon son idée : faire pâturer au maximum. C’est ainsi que Nico s’installe en 2006 à la Courtillerie. Depuis, les quatre-vingt-dix hectares de terres sont conduites en non labour, notamment les trente cultivées en céréales de vente et une vingtaine en maïs. La trentaine d’hectares de prairies assolées améliorent les rendements des céréales et « le système permet globalement de garder le maximum de carbone dans le sol comme d’améliorer sa stabilité structurale» insiste Nico. Tout ça combiné au pâturage limite fortement les besoins en traction, matériels et les heures de tracteur. L’éleveur est seul à travailler. Il délègue la plupart des travaux (récoltes, semis, etc.) par manque de temps et pour limiter ses charges de structure. Il est devenu trésorier de la cuma locale et secrétaire de celle de Renazé.

 

Son expérience l’a poussé vers le pâturage pour une bonne et simple raison: produire au moindre coût alimentaire. «Je suis à 25euros les 1000l quand les vaches sont dehors au printemps contre cent euros l’hiver. En moyenne sur l’année, je suis entre 60 et 80 euros depuis dix ans quand la moyenne en Maine et Loire est à 125euros.» Pour lui le calcul est vite fait : « Pour 400000l, j’y gagne 24 000 euros. Cela couvre mes prélèvements personnels. » Son système rime aussi avec des frais vétos très faibles: «Je n’ai pas trop de mammites, pas de boiteries comme elles marchent beaucoup. Sans doute tous les oméga 3 qu’elles mangent et la production pas trop élevée sont favorables à leur santé.» Si les vaches marchent beaucoup, l’éleveur n’est pas en reste. Bien qu’il apprécie, Nico s’est quand même payé un quad ce printemps : « Avant je faisais 700 à 800km par an à pied. » Les parcelles ont beau être proches, la plus éloignée est à 1,1km, cela devient « fatigant » de faire quatre cents mètres aller à pied, puis idem au retour, juste pour fermer une barrière.

 

De l’ensilage d’épis de maïs

 

Jusqu’ici, l’élevage reste dépendant de sources de protéines extérieures pour l’hiver et l’été : «J’achète quarante tonnes de correcteur azoté, en général du tourteau de colza, parfois du soja.» Nico pense qu’il peut encore bien améliorer la durabilité de son système. La prochaine étape est de diversifier sa ration de base hivernale. Elle est composée pour moitié de maïs ensilage, d’un quart de luzerne et d’un quart de ray-grass et trèfle violet ensilés. Nico envisage de supprimer le maïs ensilage. Il serait remplacé par un quart d’ensilage de méteil et un quart, six kilos d’ensilage d’épis de maïs. Ce dernier serait un concentré d’énergie « moins acidogène que l’amidon des céréales à paille ». Sur quinze hectares, l’agriculteur restituerait ainsi directement les tiges et les feuilles au sol pour améliorer encore son bilan carbone. Le méteil serait cultivé sur une sole équivalente, juste après prairie, et ensilé avant le semis du maïs, assurant ainsi deux récoltes par an. Le maïs plante entière ne tournerait plus que sur sept ou huit hectares chaque année en vue d’accompagner les laitières au printemps et en été.

 

Dominique Martin

 

L'exploitation

Nico Bouma, 35 ans.

Productions animales

  • • 435 000 litres de lait,
    • 55 vaches laitières

Surfaces

  • 90 hectares dont
    • 32 ha de céréales (blé et triticale) en partie autoconsommées
    • 22 ha de maïs
    • 6 ha de luzerne/trèfle violet
    • 10 ha de trèfle violet/ray-grass hybride
    • 18 ha de prairies temporaires multi espèces
    • 2 ha de prairies permanentes

Dates clés

  • 2006 : reprise d’exploitation et installation en individuel
  • 2011 : construction d’un hangar de stockage
  • 2016 : début de collaboration avec un cabinet conseil en pâturage.